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les politiciens du comptoir
19 mai 2015

Esprit, es-tu là ?

marche-charlie

Je ne suis pas allé manifester le 11 janvier. Je fêtais mon anniversaire en famille.

Ce constat devrait me placer, au choix, dans la catégorie "petit individualiste sans cœur et sans valeur n’ayant pas participé à la plus belle mobilisation républicaine et anti-raciste de tous les temps" ou "visionnaire éclairé n’ayant pas participé à cette mascarade bobo-gaucho-catho hypocrite et islamophobe". J’avoue, j’hésite. Car depuis quatre mois les interprétations lapidaires sur le ressenti  de chacun après les attentats de janvier se succèdent allègrement.

Tout commence avec ce slogan "Je suis Charlie" qui, au départ, ne se voulait rien d’autre qu’une manifestation de solidarité ou d’hommage aux victimes de Charlie Hebdo.

Manque de bol, sans que l’on sache vraiment ce que c’est être Charlie, l’expression est devenue bien plus que cela. Et c’est bien là le souci : personne n’est en mesure de vraiment définir ce que c’est d’être Charlie ce qui n’empêche pas certains politiques/chroniqueurs/sociologues  et autres piliers de comptoirs de lui accoler des vertus et des vices qui vont bien au-delà du simple hommage que pouvait représenter à la base cette expression. Comme cet "esprit" du 11 janvier : c’est quoi ? qui ? comment ?

Donc même avec un grave problème de définition (1) on en fait des caisses. Il serait intéressant de demander aux gens ce que "Je suis Charlie" signifie pour eux, il y aurait probablement une multitude de réponses (2).

Et puis il y a les "Je ne suis pas Charlie". Là ça devient intéressant. Il y a donc une catégorie qui n’est pas quelque chose dont la définition n’est pas vraiment établie.

Et puis il y a ceux qui veulent traquer ces "Je ne suis pas Charlie" (3), donc traquer des gens qui expriment un désaccord avec quelque chose d’indéfini quitte à se comporter du coup à l’opposé du ressenti d’une partie des gens qui se considéraient comme étant Charlie à la base.

Stop !

Qu’on arrête de nous emmerder avec ces interprétations bidons sur le 11 janvier, interprétations qui sont souvent ce que, de toute façon, les gens ont voulu voir et retenir de cette journée avant même qu’elle n’ait eu lieu.

L’atoad-et-charlienalyse d’Emmanuel Todd en est une belle illustration. Je te croise la carte des manifs avec le vote de Maastricht et la pratique de la sorcellerie dans les comptoirs portugais en Cochinchine et pif-paf-poum : les manifestants sont des bobos islamophobes (mais gentils à la base hein) qui souhaitent le maintien de l’ordre social actuel en s’acharnant sur les catégories les plus faibles (4). Ouch. J’ai bien fait de ne pas y aller finalement.

D’un autre côté il y a tous ceux qui sont totalement incapables de comprendre qu’une partie de la population n’était pas sensible à cet élan soudain de solidarité, voire trouvait ça totalement hypocrite à tort ou à raison. Ceux-là sont pour certains d’indignes français qu’il faut pourchasser, combattre voire envoyer directement en Syrie pour être peinard.

Alors voilà ton choix camarade :
-    Charlie : laïc ou islamophobe,  solidaire ou naïf, Charb ou Netanyahou
-    Pas Charlie : lucide ou cynique, respectueux ou terroriste, Todd ou Booba
-    Ni l’un ni l’autre : couille-molle, ectoplasme, égoïste, sale jeune

Ceci-dit rien de nouveau puisque cette catégorisation caricaturale (5) était également à l’ordre du jour dans de multiples situations qui ont violemment clivé la population à un moment donné, y compris au sein de mêmes familles politiques.

Pour rappel : si tu étais contre la Constitution européenne tu étais anti-européen, ou si tu n’étais pas forcément opposé au port du voile dans les lieux public tu étais anti-laïc et anti-féministe.

C’est une fois de plus nier la complexité du sujet en le ramenant à leur plus petit dénominateur commun. Le 11 janvier on aurait aussi recensé des manifestants riches et musulmans, des non-manifestants juifs et BAC+5, et puis des mecs qui fêtaient leur anniversaire.

Alors plutôt que d’agiter inutilement toutes ses synapses, invitons plutôt les nobles cerveaux de notre pays à réfléchir aux solutions pérennes pour constituer une société plus juste afin d’éviter qu’une fois encore les même causes aient les même effets (lutte contre les inégalités, rôle de la prison dans la réinsertion sociale, perspectives d’avenir pour les catégories les plus modestes,…).

Au lieu de nous cliver encore à travers des interprétations caricaturales qui n’ont pour vertu que d’alimenter les talk-shows télévisuels et radiophoniques et les blogs internet en tous genres.

Bon, continuez en fait.

Lanfer

[1] A la base le slogan ne demandait probablement pas de définition

[2] On a bien vu des patrons licencier sans ménagement et sans dialogue des salariés mais affichant sur la porte de leur bureau "Je suis Charlie"

[3] Remercions France Télévisions de financer Nathalie Saint-Cricq : https://www.youtube.com/watch?v=8rhzCyqVkDo

[4] Attention, ce propos est 100% caricatural et utilise les mêmes ficelles grossières que ce que l’auteur entend dénoncer.

[5] Probablement le plus bel hommage à Charlie ceci dit.

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Commentaires
A
Il est vrai que la limite entre le listing imparfait et l'omission peut parfois s'avérer floue :)
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L
Cher Apophis, dieu des forces du mal et du chaos.<br /> <br /> <br /> <br /> Pour répondre à ta première question, la conclusion de l’article n’avait pas pour ambition de lister exhaustivement tous les aspects de la complexité du sujet. Donc elle ne nie rien, et en aucun cas le fait que les aspects « sociétaux, religieux, géopolitiques » sont aussi importants que ceux que je cite. Par contre il me semble que certains aspects sont beaucoup évoqués, traités, débattus (les aspects religieux et géopolitique) alors que les aspects sociétaux sont souvent mis au second plan, d’où mon listing imparfait de sujets à approfondir mis entre parenthèses pour conclure ce billet.<br /> <br /> <br /> <br /> Concernant la seconde remarque, le reproche contenu dans l’article ne relève pas du fait que les « Charlie/pas Charlie » nient la complexité du sujet mais que les analystes le fassent, en interprétant (souvent de façon caricaturale) les ressentis/motivations de ces Charlie/Pas Charlie. C’est justement en en parlant avec les gens (les vrais) que tu abordes la complexité de la situation, pas en réalisant une étude sociologique en un temps record (coucou Emmanuel) ou en écrivant une tribune dans Le Monde en réponse à ce bouquin (coucou Manuel).<br /> <br /> <br /> <br /> Léo, je partage ce point de vue.<br /> <br /> <br /> <br /> Merci pour vos réactions !
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L
Le problème est aussi que nous vivons dans une société qui privilégie la "pensée" collective et rejette plus ou moins consciemment la pensée individuelle. L'influence des médias et des réseaux sociaux étrangle la liberté de conscience et de réflexion de l'individu au profit d'une espèce de bouillasse qui méprise toute amorce d'approfondissement et de velléité de se faire une opinion par soi-même. Mettre en avant un slogan ("Je suis Charlie") c'est le contraire même de mettre en avant une pensée.
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A
Conclure en ne soulignant que les sources sociales du problème (je cite : "lutte contre les inégalités, rôle de la prison dans la réinsertion sociale, perspectives d’avenir pour les catégories les plus modestes,…"), n'est-ce pas nier les aspects sociétaux, religieux, géopolitiques (et j'en passe) de la question ? <br /> <br /> <br /> <br /> Bref, il me semble que "c’est une fois de plus nier la complexité du sujet".<br /> <br /> <br /> <br /> Pourquoi Lanfer, les "je-suis-Charlie" et les "je-ne-suis-pas-Charlie" nient-ils tous par omission (volontaire ou non) la complexité du sujet ?
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