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les politiciens du comptoir
5 juin 2015

Gomorra la série : il y a quelque chose de pourri au royaume de Naples

À l’origine ce fut un livre. Écoulé à 10 millions d’exemplaires dans le monde, il valut à son auteur un succès immédiat ainsi qu’une condamnation à mort de la part de la Camorra(1).

Puis ce fut un film primé à Cannes (Grand Prix du Jury en 2008) et même une pièce de théâtre. Et maintenant Gomorra, œuvre nécessairement protéiforme pour raconter la pieuvre camorriste, devient une série.

Diffusée l’année dernière en Italie et en janvier sur Canal +, Gomorra la série a connu un succès critique et public et a été vendue dans 70 pays à travers le monde. La qualité du produit réalisé y est pour beaucoup : rivalisant avec les grosses productions américaines (les Games of Throne, les House of Card, etc), Gomorra n’a pas à rougir de son origine italienne. Menée d’une main de maître par Stefano Sollima (déjà à la tête de Romanzo Criminale), la série est maîtrisée de bout en bout par les trois réalisateurs qui se concentrent sur la description réaliste et crue d’un monde longtemps inconnu du grand public, qui plus est du public français. Tournée en décors naturels dans Naples et sa région (plus précisément à Scampia, quartier nord de Naples) avec une lumière qui met en valeur les couleurs de la ville et surtout les décors bling-bling (qui piquent les yeux) des intérieurs napolitains, la série a vu l’émergence d’acteurs napolitains de talent. Heureusement la qualité technique du produit n’est pas là pour cacher la faiblesse du scénario, mais bien pour accompagner et mettre en valeur un récit qui se fait haletant au fur et à mesure des épisodes.

Gomorra

Gomorra la série met en scène le clan Savastano en lutte avec le clan Conte pour le contrôle du trafic de drogue (Scampia est le plus grand marché européen de drogue). Mais cette banale histoire de rivalité est l’arbre qui cache la forêt et un système bien plus tentaculaire. Il faut préciser avant d’aller plus loin que, bien qu’étant romancée en tant qu’œuvre de fiction, toutes les histoires racontées dans Gomorra la série se sont réellement déroulées, même les plus incroyables et les plus insoutenables. Car Roberto Saviano et les auteurs ne se contentent pas de raconter des histoires de gangster. Ce serait réduire la Camorra à son expression la plus basique.

La série nous plonge dans les méandres du Sistema (2) et nous dévoile l’étendue de sa puissance. La Camorra ne contrôle pas seulement l’économie souterraine, elle a également la main mise sur l’économie légale et la société napolitaine.

Si le trafic de drogue est un mécanisme plus ou moins connu de tous, le blanchiment de l’argent sale est un concept plutôt abstrait et souvent invisible. On part avec nos « héros » à Milan où s’étend devant nos yeux une puissance économique insoupçonnable : les Savastano possèdent des immeubles entiers dans la capitale économique de l’Italie. La prise de contrôle d’entreprises on ne peut plus légales est un autre moyen de recycler son argent. Grâce à des prête-noms et des banquiers peu scrupuleux, les clans prennent le contrôle de sociétés et souvent leur imposent leurs propres fournisseurs. Nous ne nous étendrons pas sur les investissements dans les discothèques, les restaurants, les casinos… La liste est infinie.

Mais les clans vont plus loin encore. Pour imposer leurs entreprises dans les appels d’offres, rien de plus simple pour eux que de contrôler une mairie. Et ils ne se contentent pas de verser quelques enveloppes ici et là. Pourquoi acheter quelqu’un, quand on peut carrément mettre à la tête d’un conseil municipal un homme de son clan. En Campanie, on ne compte plus les conseils municipaux dissous (parfois plusieurs fois) pour infiltration mafieuse. Tels des politiciens, ils organisent la campagne électorale avec des moyens illimités et si cela ne suffit pas, il reste l’intimidation et l’achat des votes (une voix ne peut coûter que 50 €, chaque élection a son propre tarif selon son importance).

gomorra2

Et si les spectateurs pensent que la prison est la solution pour casser l’hégémonie des clans, je leur conseille d’attendre quelques épisodes. Le camorriste est aussi puissant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Dès son entrée dans la prison de Poggioreale, on est frappé par le respect des prisonniers à son égard. Son incarcération ne signifie pas pour autant le ralentissement des affaires : un simple portable lui permet de se tenir au courant de la situation extérieure et au besoin de donner ses ordres. Il n’hésite pas à entrer en guerre ouverte avec le directeur de la prison dans le seul but de montrer sa puissance et son influence. Seule arme de la justice italienne pour briser le pouvoir des mafieux emprisonnés, le 41 bis, article du code de procédure pénale qui prévoit l’isolement du prisonnier et un contrôle strict des visites.

Si elle se présente au premier abord comme une œuvre de fiction réussie, Gomorra la série a également pour vocation de raconter un territoire et une réalité. Certains ont accusé Roberto Saviano de diffamer Naples en dévoilant ses côtés les plus obscurs. Il répliqua malicieusement que l’on n’a jamais accusé Breaking Bad de diffamer le Nouveau-Mexique (ou les professeurs de chimie) ! Raconter le mal ce n’est pas le cautionner, c’est déjà l’affaiblir. Si l’appareil judiciaire est certainement un outil efficace pour contrer les mafias, la prise de conscience de la population et un changement de mentalités sont forcément nécessaires pour mettre à mal sur le long terme la puissance de ces organisations criminelles. C’est là que des œuvres comme Gomorra la série interviennent, leur succès devient une arme qu’il ne faudrait pas sous-estimer ni écarter.

Boulce

[1] Organisation criminelle originaire de Naples

[2] Surnom de la Camorra

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